A la ligne, de Joseph Ponthus

A la ligne
A la chaîne
Enchaînés
Alignés
Produire toujours plus
Plus et plus vite
Et ne voir que
Des lignes
Des chaînes
Les nôtres les leurs
Géométriques mécaniques
Infinies
Démentes
Je les ai connues aussi
Pas longtemps mais juste assez
Assez pour savoir qu’il est important d’y chanter
D’y rêver
De trouver tout ce qui pourrait nous en libérer un peu
Au moins la tête à défaut du reste
Au moins la tête pour oublier le reste
Assez pour savoir les jours de nuit
Les nuits toujours
Le soleil oublié
Le bruit et les bouchons d’oreilles
Les bottes et les pédiluves
Les machines
Incessantes
Insensées
Mais pas assez pour avoir aimé
Non pas assez
L’usine je l’ai détestée
J’ai haï cette gueule béante qui engloutit
Digère
Et nous recrache
Fourbus
De ces quelques missions renouvelables au jour ou à la semaine je n’ai rien gardé
Je ne pensais même pas pouvoir aimer qu’on en parle
Mais vous êtes arrivé Mr Ponthus et j’ai aimé vous lire l’écrire
Ce n’était pas gagné pourtant
Parce que je les aime tant moi
Les virgules les points les suspensions
Tant que j’en mets partout
Toujours
Trop
Mais j’ai lu votre cadence et j’y ai entendu
Ce(ux) qui ne s’arrête(nt) jamais
La solidarité taiseuse
Les demis-mots
Les mots mâchés
Les mains qu’on serre comme on dirait
Les mains qu’on serre parce qu’on ne dit pas
Les pauses cigarettes toujours trop courtes
Parce que tout se compte
Le temps comme les unités
Combien de jours travaillés
Combien de minutes à tirer
Combien de temps perdu à marcher pour rejoindre la machine à café
Combien d’heures de sommeil
Combien de kilos
De bêtes
De boîtes
De camions
Combien
Combien
Toujours
Mais en vous lisant je n’ai pas compté
Quoiqu’on en dise la poésie ne se calcule pas
Ni en pieds ni sur les doigts
Elle n’a pas besoin de ça
Pour être là partout
Entre vos maux
Par vos mots
Ceux que j’ai suivis sans jamais en lâcher le fil
Parce que c’est ainsi que vous m’avez pêchée
Monsieur
A la ligne
Hameçonnée
Par vos lignes
Captivée
Et sans un point pour y revenir


Je dois absolument remercier @clairethefrenchbooklover pour m’avoir mis ce livre entre les mains et m’avoir dit « toi, tu vas adorer. Je le sais. » Oui Claire, c’est vrai, tu me sais, infiniment bien. Ce livre, je l’ai adoré. Tu avais, encore une fois, le mot parfait.