Les possibles, de Virginie Grimaldi

Voir les possibles quand certains ne verraient peut-être que ce qui ne le sera plus.
Voir tout ce qu’il reste, à faire, à dire, quand l’horizon semble se réduire.
Voir le présent en grand quand le futur se trouble.
S’attarder plutôt que se projeter.
Regarder plus large à défaut de voir plus loin. Tourner la tête pour voir autour.

Savoir regarder la porte fermée et y trouver, en prenant le temps de l’observer, le trou de cette serrure sans clé. Y jeter un œil, s’y glisser, et voir l’essentiel, le chemin qui continue, juste là sous nos pieds. Y cueillir ce qu’on y trouve et regarder les merles dans les cerisiers. Ramasser leurs plumes pour s’en faire un panache de guerrier.
Chanter. Écouter.
Et puis apprendre les pas de côté, dans l’herbe, près de notre sentier. Celle-là même qui, à bien y regarder, n’est effectivement pas plus verte qu’ailleurs mais qui est la nôtre et qu’on se surprend à aimer.

Les possibles, c’est tout ça et plus encore. C’est l’histoire de Juliane et Jean, d’une fille et de son père. L’histoire de l’une qui recueille l’autre. De ceux qui se souviennent pour celui qui oublie. D’un esprit qui s’éparpille et s’échappe et de ceux qui marchent assez droit pour le soutenir mais qui savent aussi zigzaguer pour le suivre. De ceux qui courent aussi. De ceux qui aiment surtout.

Que vous dire de plus si ce n’est que Virginie Grimaldi m’a ramené loin, en arrière et en dedans ? Elle m’a guidée là où je ne voulais plus aller, m’a aidé à voir mes regrets et les a transformés en des souvenirs moins lourds à transporter. Elle m’a fait rire et beaucoup pleurer. M’a offert une histoire que je n’oublierai jamais.
Oui, elle sait faire ça Mme Grimaldi. Elle sait écrire et panser. Elle sait trouver les mots qui sourient, ceux qui bouleversent, ceux qui apaisent et qui consolent.
Nos cœurs dans le viseur, le sien dans le carquois, sa plume à elle, elle ne s’en coiffe pas mais la tient entre ses doigts. Elle a visé, toujours aussi juste, et m’a encré le cœur de ses Possibles. Et j’ai grimaldisé. Encore.

Zébu boy, d’Aurélie Champagne

Je ne saurais pas vous dire d’où ça venait, de la forêt, de l’aody, d’Ambila lui-même peut-être, mais ce qui m’a submergée sur la fin venait de loin.
Je ne saurais pas vous dire depuis quand précisément, d’un mot, d’une phrase, d’un chapitre peut-être, mais ça faisait quelque temps que ça m’enserrait.
Vous le voyez, je ne saurais pas vous expliquer précisément pourquoi mais je me suis laissée prendre. Dans le mouvant, le vivant. Laissée happer comme par une bahine, un courant, qui m’a emportée sans prévenir et m’a emmenée loin. Au large de Madagascar. Au cœur de sa forêt. Collée à celui, battant, d’Ambila. Et ce n’est qu’en refermant Zébu boy que je me suis échouée, lessivée par le tourment et l’histoire de celui qui revient. Celui qui reste.

Tout commence en mars 1947 à son retour de la guerre en métropole, après qu’il ait combattu pour « la très grande France ». Enrôlé pour servir un pays qui le méprise et l’oublie, le colonise et l’asservit, Ambila revient sur une terre qui tremble de colère. Etayé de ses espoirs depuis son départ, son retour se heurte au temps qui a passé, soufflant, emportant, et aux colères qui se sont soulevées. Son chemin n’a plus rien de familier mais qu’importe, il avance quand même. Et nous avec.
En l’accompagnant, j’ai voyagé dans le temps et sur les pistes, dans une 202, une rosalie, un wagon à bestiaux. À pieds aussi, nus ou mal chaussés. J’ai eu peur. J’ai ressenti la colère et la souffrance. L’envie de hurler. J’ai lu à m’en faire tourner la tête, accrochée comme je pouvais à cet homme, Ambila. Le Zébu boy. Celui que je n’oublierai sûrement jamais.

L’instant de la fracture, d’Antoine Dole

Je ne savais pas, en ouvrant ce livre, que je m’installais sur une planche. Face à moi, Antoine Dole en lanceur de couteaux pas décidé à m’éviter, et ses mots, ses phrases, courtes, en poignards. Certains m’ont effleurée, plantés au plus près pour m’empêcher de bouger. Souffle coupé, à ce moment-là, je respirais encore. D’autres m’ont transpercée. Le cœur, le ventre. Les jambes. En plein dedans. A genoux la lectrice. L’écrivain sait viser, sans trembler, laissant ça à ceux qui le lisent.

J’ai donc tourné la première page sans me méfier et écouté penser celui qui raconte, qui veut dire. J’ai senti sa boule de mots trop mâchés au fond de la gorge. A force de les garder sans pouvoir rien en faire, ils se sont agglutinés. Morceaux de chair arrachés qui ne veulent pas être avalés. Mais au cours du repas, c’est décidé, il tentera de les cracher, les envoyer au milieu de la table, aux yeux de tous. Ce sera ici, maintenant. Mais qu’il est dur de dire, qu’il est dur de sortir ce qui est coincé. La vie en éboulis, tombée, cassée. Et la voix qui essaie d’en sortir, écrasée. Au fond de la gorge, le cristal pur de l’enfance devenu verre pilé. La fracture n’a rien épargné.

Il n’aura fallu que 45 pages à l’auteur pour me fracasser. 45 pages, ce n’est rien, me direz-vous. Détrompez-vous, parfois c’est exactement ce qu’il faut. Le talent n’a pas besoin de plus pour s’exprimer, il sait exploser en espace restreint.

Mr Dole, je vous ai découvert grâce à ma fille, fan d’Adèle. Jamais je n’aurais cru que, du haut de ses 9 ans, elle me mènerait à un auteur que j’aimerai autant. Heureusement que ma curiosité et mon amour pour la littérature estampillée jeunesse m’ont guidée jusqu’à ce livre-là, bien orientée que j’étais par ma jolie Rose. Je vous lirai à nouveau, soyez-en certain. Je reviens de mourir m’attend d’ailleurs déjà et je pressens que je n’en sortirai toujours pas indemne.
Et vous, lecteurs, franchissez la barrière, dépassez vos a priori. Il n’y a pas que Oui-oui au rayon jeunesse, il y a Antoine Dole aussi. Et vous savez quoi ? C’est mortel ! 😉

Dans les forêts de Sibérie, de Sylvain Tesson

Je n’avais jamais lu Tesson. Et pire, je n’avais jamais eu envie de le lire. Mais ne dit-on pas qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis ? Alors, même si j’ai tendance à l’être sacrément parfois, quand il s’agit de littérature, je n’ai pas ce travers-là. J’ai donc lu Tesson, cet écrivain-voyageur parti seul, 6 mois, dans une cabane au bord d’un lac de Sibérie. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas le froid qui m’a giflée, c’est le livre tout entier.

On le croirait fou, n’est-ce pas, cet homme à ce point éloigné de la société qu’il décide, au moins pour un temps, de s’en échapper. Mais croyez-moi, s’il l’est, alors il est des fous qu’on devrait écouter plus attentivement.
Se soustraire au monde est sûrement l’un des actes de rébellion les plus forts, mais c’est aussi accepter de se confronter, soi, et de voyager plus loin que ce que l’on aurait pensé, au cœur de notre propre forêt. C’est se risquer au possible ennui, à côtoyer son chaud et son froid, et oser se regarder sans artifice et sans reflet, puisque sans l’Autre.
 
Alors j’ai accepté de m’attarder et de frissonner en plein été. Au bord du lac Baïkal, j’ai écouté Sylvain Tesson me parler des ours, de la vodka, des pins nains et des mésanges lugubres. J’ai lu en tendant l’oreille. Sur le papier, sa voix et le silence des hommes. Autour, les bruits de la forêt, de la vie vraie, loin du tumulte citadin. Et en sentant le vent gronder et la froidure m’envelopper, je me suis abritée dans la cabane à mon tour et m’y suis sentie bien, protégée. Cocon utérin, foyer maternel, elle m’a prise en son sein tandis que je m’y enivrais des aphorismes de celui qui l’habitait.
 
Il ne faut pas se fier au calme apparent de l’eau après son gel, ni à celui de la forêt en plein hiver. Ne pas croire l’ermite aussi tranquille qu’il y paraît. L’agitation est plus profonde que ce que la surface et les cimes ne laissent deviner. On pourrait ne voir à peine que quelques fissures, un peu de vent dans les branches alentour, mais dessous, la vie, ses mouvements et ceux passionnants de l’esprit-fleuve du Tesson. Ainsi, si l’ermite est philosophe, il est aussi et surtout moins tranquille qu’il n’y paraît car l’esprit ne connaît pas le repos. Et tant mieux, parce que le lire aura apporté beaucoup au mien.
Ainsi, si l’ermite est philosophe, il est aussi et surtout moins tranquille qu’il n’y paraît car l’esprit ne connaît pas le repos. Et tant mieux, parce que le lire aura apporté beaucoup au mien.

Loin des hommes, retiré de la société, l’anachorète y pense pourtant souvent et nous livre, par bribes, ses pensées. Mais était-il vraiment si seul dans sa tanière ? Pas vraiment. Entouré de ses livres, de ses chiens, de vodka et de son temps libéré, Tesson s’accompagne et nous offre une place dans sa bulle.


Alors oui, je n’avais jamais lu Tesson, mais j’ai lu Tesson, et je relirai Tesson. Et je compte bien continuer à le conjuguer à tous les temps, longtemps.

Et que ne durent que les moments doux, de Virginie Grimaldi

Il y a les chambres que l’on n’a pas eu le temps de préparer, et celles qui ont vécu. Le berceau pas monté pour l’une, les posters encore punaisés dans l’autre. La vie qui arrive, trop vite, et qui reste sous cloche, et celle qui part s’épanouir ailleurs, autrement. L’enfant ici, l’enfant là-bas, mais toujours trop loin des bras. Deux mises au monde, deux peurs, deux douleurs de mère, et les angoisses, les hésitations, les doutes qui vont avec. Du nouveau-né au déjà-grand, chaque étape de l’enfant fait naître une nouvelle femme, aux premiers pas hésitants et aux nuits sans sommeil.  Et chacune de ces mues laissent des cicatrices presque invisibles au dehors mais toujours sensibles au dedans. Parce que si les traces extérieures s’estompent souvent, le cœur lui, se souvient sans cesse.

Ce sont pour ses raisons que, quand Virginie Grimaldi a rapidement présenté son nouveau roman il y a quelques semaines, j’ai tout de suite su. Oui, j’ai su que son cœur allait encore faire déborder le mien. Et sans en avoir lu un mot encore, tout est remonté. Piqûre. Ouverture. 1,8kg, on l’emmène Madame. Agrafes. Où est mon bébé ? Et puis les larmes, les blouses, les bips, les sondes, les pesées. Les couches trop grandes, les bras trop vides, le cœur si plein.

Alors bien sûr, j’ai lu douloureusement, mais j’ai aussi souri, et ri, beaucoup. Et puis j’ai ressorti ma première bande tubulaire/écharpe de maman kangourou, touché mon ventre, embrassé mes enfants. Appréhendé le futur, fait revivre le passé. Et plus je tournais les pages, plus mes cicatrices rosissaient. Parce qu’elle sait faire ça, Virginie. Elle sait mettre du baume là où le cœur en a besoin, en écrivant avec bienveillance et humanité la vie et les gens, les vrais, ceux qui ont des sourires qui tremblent, ceux qui doutent, les imparfaits, les trop et pas assez, ceux qui marchent droit mais qui boitent une fois leur porte fermée. Ceux qu’on croise. Ceux qu’on est. Et ça fait du bien, tellement de bien.

Alors je dis oui, Et que ne durent que les moments doux. Et sous la plume de Virginie Grimaldi, c’est bien parti pour, croyez-moi.

Les falaises, de Virginie DeChamplain

V. a fui la Gaspésie dès qu’elle a pu, laissant derrière la maison, la mère, les femmes de sa vie. Mais un appel vient la chercher au cœur de la ville. Sa mère est morte, elle est partie. Alors V. revient. Un départ pour un autre, le dernier pour l’une, le nécessaire pour l’autre. Pour que la vague vienne, il faut que l’eau qui la compose se replie. Alors retour au nid, ni chaud ni douillet. Retour à l’enfance. Mais ça étourdit, ça engourdit, ça creuse le trou en dedans. Et au creux des murs, le long de la galerie, à travers les fenêtres qu’on laissent ouvertes, le vent s’engouffre, le froid avec. Plus de protection. Mise à nu. V. se découvre. De l’origine de son monde.

Sa mère est morte, sirène échouée, et son chant lui crie aux oreilles. Alors V. se recroqueville dans les carnets de sa grand-mère. Elle la lit, l’apprend. Cette grand-mère jamais connue se dessine et les femmes de sa vie prennent corps tandis que V. se souvient de son enfance, courue, au long des voyages incessants, imposés. Odeurs des villes, des paysages. Crises de mère. Partir encore. Fuite en avant. Courir le monde. Croiser les amants éphé-mères. Alors, petit à petit, tandis que les fils tissent, le voyage se profile. Des rives du Saint-Laurent à l’Islande. Suivre les traces. Elle qui était restée pour les effacer, ranger, nettoyer, les laisse finalement la guider. Venue pour faire le vide, elle fait le plein.

Ainsi, au pied des côtes hautes et abruptes, il y a le fleuve et parfois la mère, mais c’est dessus qu’il faut aller pour la trouver, et sentir son vide en-dessous. Nous avons tous nos falaises, nos blocs de roches érodées par le sel et le vent, par nos vies et ce qui les a construites. Nous les grimpons ou restons en bas à les regarder. Les falaises, créatrices d’écho quand on y crie, mères de vertiges si l’on regarde en bas, bâtisseuses d’horizons nouveaux si l’on regarde au loin. Et, sous la plume forte et poétique de Virginie DeChamplain, un peu tout ça, mais surtout un magnifique roman à lire absolument. Pour la beauté brute de son paysage, l’oralité à fleur de peau de son verbe, le souffle nouveau entre ses lignes. Et le voyage, par-delà les mères.

Watership Down, de Richard Adams

Confinée au fond de mon terrier, ne sortant que pour travailler, je rêvais de collines, d’herbes hautes, vertes, dorées, odorantes, de fleurs, d’horizon. Besoin d’espace. Besoin d’air, d’évasion, de respirer à plein poumons. Alors j’ai regardé mes étagères, remplies de fenêtres d’encre et de papier. En effleurant les tranches de tous ces livres endormis, je me suis souvenue que @goodbooks_goodfriends m’avait conseillée une histoire de lapins… Watership Down, voilà, c’est ça. Ce serait donc lui. Mais en l’ouvrant, je ne me doutais pas un instant que ces 544 pages allaient me faire voyager autant. Ça fait lourd comme attestation de déplacement, je vous l’accorde, mais pas de panique, vous ne sortirez pas avec. Vous partirez dedans.

Les premières pages tournées, je n’ai plus lâché ni la patte de Fyveer, ni celle d’Hazel. Et puis il y a eu Bigwig, Pipkyn et tous les autres. Et je me suis attachée à chacun. Je les ai regardé farfaller (lisez, vous saurez), fuir, construire, lutter, dormir, rêver, espérer. Rien de passionnant pensez-vous ? Vous vous trompez. Et je ne sais pas quoi vous dire pour vous en convaincre.

Au fil de l’histoire de ces lapins partis de leur garenne condamnée pour tenter de se construire un avenir meilleur, vous serez tour à tour touchés par leur courage, soufflés par leur ingéniosité, happés par leurs aventures. Vous tremblerez pour eux, croiserez les doigts, prierez Krik (lisez, vous saurez aussi). Et puis vous serez aussi saisis par la beauté des paysages que vous traverserez avec eux. Vous aurez parfois du soleil plein les yeux, ou de la pluie sur l’échine, du vent sur les flancs, de la vase plein les pattes. Et vous sentirez les primevères et les laitues. Les fèves. L’herbe fraîche. Et les dangers, souvent. Alors il faudra que vous soyez sur vos gardes et que vous tendiez vos oreilles car ce ne sera pas une promenade, bien au contraire.

Vous devrez vous défendre, réfléchir et courir, vite.
D’ailleurs, vous devriez commencer maintenant. Oui, oui, allez-y, courez… sur le site de @monsieurtoussaintlouverture (ou en librairie, dès que…) pour vous procurer sans tarder ce ticket pour l’aventure vers la colline de Watership Down. Oh, attendez… on me souffle que la collection Grands animaux accueillera très bientôt la garenne d’Hazel-Shâ sur ses terres, et que les précommandes sont ouvertes ! Alors, vous attendez quoi ? J’ai tapé de la patte, courez !

Je ne veux pas être jolie, de Fabienne Périneau

Sa mère est morte. « Jo, reste, ta mère est morte. » Non merci. Non, elle ne restera pas, et non, elle ne pleurera pas non plus. Parce qu’en partant, la mère lui a tout renvoyé. Ses souvenirs de petite fille, ses huit ans, sa vie, avant. Avant qu’elle ne meure un peu, beaucoup. Avant qu’un été à la mer, sans la mère, ne la fasse vieillir au-delà du dicible. Sa mère est morte et ce qui sort ce ne sont pas les larmes, c’est le passé qui remonte, c’est le sable qui s’envole et qui laisse au jour ce qu’elle avait enfoui, profond, loin, au cœur.

Un mois d’été chez l’oncle et la tante. Un mois, si long. Un mois qui fait prendre des années. Et puis la mère revient, et on repart, presque, pas vraiment. On y a laissé quelque chose là-bas, quelque chose qui ne se récupère pas.

Les mots tus, cachés, pendant si longtemps, se réveillent. Tant d’années sans pouvoir dire, mais aujourd’hui encore, on ne veut pas entendre, on n’a rien vu. Les trois singes pour protéger celui-qui et tant pis pour celle-qui. Parce que ça cache le soleil les petites filles parfois, et puis ça se noie. Alors ça gêne, ça gâche. Un été, une famille, des vies, une seule. Chut, on te dit… Dis merci, sois polie, tais-toi. Tais-toi. Terre ça. Maintenant, demain, toujours. Il y a des maux qu’on ne dit pas. Les mots, c’est comme les petites filles, il y en a qui gênent, qui cassent, qui noient. Alors oui, tant pis pour celle-qui. Oui, tais-toi. Toujours. Ne dis pas le mari. Ne dis pas tes 8 ans. Ne dis pas certaines nuits. Ne dis rien sauf merci. Sois polie.

Tout est toujours question de silence n’est-ce pas ? On nous l’apprend depuis toujours, il vaut cher. Peu importe ce qu’il coûte, on veut ses lingots. Mais aujourd’hui, alors qu’on enterre la mère, la parole veut s’exhumer. Sa parole à elle. Non, pas de merci cette fois-ci. Pour panser il faut parler. Oui, la parole a des elles. Elles ont la parole. On a la parole. Peu importe quand, peu importe qui, peu importe à quel prix. Peu importe ceux qu’on perdra et le mal que ça fera.

Vous dire que ce livre m’a bouleversée serait bien réducteur. Il a pris mon cœur, l’a serré entre ses points, tordu entre ses lignes, gonflé de ses mots. Il y a des thèmes plus difficiles que d’autres, mais plus forts aussi. Et le talent d’un.e auteur.e se révèle souvent dans ceux-là, quand il/elle arrive à nous prendre au creux de sa main, contre sa plume, et que nous n’y sommes pas protégés, mais capturés. Fabienne Périneau a réussi ça. Elle m’a emmenée dans le cœur et la tête de cette femme à petits pas. Sans savoir, je savais déjà. Et à tâtons, au fil de la parole qui naît, j’ai écouté, révoltée comme si c’était vrai. Parce que oui, ça l’est, quelque part, un jour, trop souvent. Et que ce soit à travers une histoire ou un témoignage, c’est important de le lire, de le dire. Merci Mme Périneau, pour tout ça. Et merci Valmyvoyou_lit, parce que c’est ton retour qui m’a fait découvrir ce livre.

Tout le bleu du ciel, de Mélissa Da Costa

Emile cherche un compagnon de voyage, quelqu’un pour faire l’aller avec lui. Le retour n’existera pas à deux. Joanne sera celle-là, qui viendra doucement, presque sans un mot. Et c’est là que tout commence, quand tout est près de s’arrêter.

Atteint d’un Alzheimer précoce, il ne reste à Emile que deux ans, tout au plus. Alors, pour ne pas rester branché, pour vivre loin des regards tristes et apeurés, il décide de partir, en camping-car. Vers les montagnes, la nature, sa liberté. Vers la vie vraie.

Je ne savais rien en démarrant ma lecture. Rien de rien. Alors je suis montée dedans, sans bagage. J’ai eu un peu peur au début, je dois bien l’avouer. Plus de 800 pages, ça effraie. Mais je me suis dit qu’au pire, ça calerait une porte, ou un meuble un peu bancal. Je ne pensais pas que c’est moi que ça aiderait, moi que ça redresserait.

800 pages tout de même ! vous me direz. Oui, mais c’est ce qu’il faut pour voyager. C’est ce qu’il faut pour prendre le temps de regarder, le ciel, les montagnes, les plantes, la mer, les gens. Il faut savoir ralentir quand tout s’accélère. Lever le pied pour respirer. Moi j’ai englouti les kilomètres sans lever le nez. Je les ai écoutés, lui et elle. Je les ai observés, vu leurs larmes parfois couler, parfois retenues. Les yeux rivés au papier, j’ai regardé ces deux-là s’appréhender, s’apprivoiser, se dévoiler. Et c’était bien. Et c’était beau. Et c’était ce qu’il me fallait.

Regarder la vie tisser, avec le dernier de ses fils, un lien qui lui survivra, oui, c’est ça qu’il me fallait. Alors, merci Mme Da Costa. Et merci William du @livredepoche. Merci infiniment.

Marche blanche, de Claire Castillon

Ce livre, arrivé sous mes yeux grâce au Petit Poucet des mots (que je ne remercierai jamais assez), m’a bouleversée. J’ai lu, ça et là, des avis tranchés à son sujet, on l’aime ou on le déteste. Moi, je l’ai adoré. Tellement que je viens vous en parler, tout de suite, sans trop retoucher mes mots, sans me relire mille fois, sans attendre comme je le fais toujours. Besoin de dire vite, comme je l’ai lu. J’ai inspiré en le commençant, puis bloqué l’air pendant 167 pages. Il est temps de relâcher. Expiration.

Poumons pleins, j’ai avancé dans l’esprit torturé de cette mère. J’ai entendu sa rage, partagé sa souffrance, ses errances. J’ai serré ses poings dans les miens. Dix ans plus tôt, Hortense, son Hortense, a disparu. Sous ses yeux fermés. A peine 30 secondes. Un cache-cache jamais terminé. Depuis, ce sont dix années pleines d’espoir et de folie, de peut-être, de recherches. Dix années à se demander. Dix années à tourner, autour, dedans, dehors, à rabâcher, ressasser. Cette journée, les autres. Souvenirs de l’avant, du pendant. Impossible construction de l’après. Et puis viennent de nouveaux voisins, et leurs enfants. Leur fille. La sienne. Peut-être. C’est sûr. Il n’y a qu’une mère pour savoir ça, pour le sentir. Ça ne peut qu’être vrai. C’est elle. Évidemment.

L’enfant partie laisse place à son absence, pleine et entière. Étouffante. Omnisciente. Empêchée de siéger, la raison fuit, le couple aussi. Restent quelques regards, et du vide. Et l’espoir qui rend fou. Tout ça pour tenter de coller des morceaux de vie qui ne feront de cette femme qu’une poupée de chiffons, mal cousue, tenue par les fils d’un esprit morcelé. Alors bien sûr, cette mère-là fait peu de bruit. Ses cris résonnent à l’intérieur, ses doutes se cognent dedans. Personne d’autre ne pourra comprendre. Elle seule sait.

En entrant dans la tête de cette mère, j’ai manqué d’air, doucement. Dangereuse apnée. Alors j’ai lu vite. Je devais sortir. Je sentais que ça tournait, que, petit à petit, je m’enfonçais. Le parc, la chaussure de poulain vert, les marches, les affiches, les voisins. Je perdais pied mais, comme elle, je ne pouvais pas lâcher. Et puis lui, le mari. Lui, réconfortant. Lui, maison de gilet gris. Lui, dedans. Dehors. Il souffre. Il essaie. Mais rien ni personne ne peut entrer. La tête maternelle est pleine de celle qui manque. Plus de place.

Que vous dire ? Rien d’autre. Il faut que vous veniez vous aussi.

Ouvrez ce livre et comptez.

1,2,3… Hortense… 15,16,17… L’absence, démente… 25, 26, 27… Sa mère… 29… Ouvrez ses yeux…

30. Cachée.