Les falaises, de Virginie DeChamplain

V. a fui la Gaspésie dès qu’elle a pu, laissant derrière la maison, la mère, les femmes de sa vie. Mais un appel vient la chercher au cœur de la ville. Sa mère est morte, elle est partie. Alors V. revient. Un départ pour un autre, le dernier pour l’une, le nécessaire pour l’autre. Pour que la vague vienne, il faut que l’eau qui la compose se replie. Alors retour au nid, ni chaud ni douillet. Retour à l’enfance. Mais ça étourdit, ça engourdit, ça creuse le trou en dedans. Et au creux des murs, le long de la galerie, à travers les fenêtres qu’on laissent ouvertes, le vent s’engouffre, le froid avec. Plus de protection. Mise à nu. V. se découvre. De l’origine de son monde.

Sa mère est morte, sirène échouée, et son chant lui crie aux oreilles. Alors V. se recroqueville dans les carnets de sa grand-mère. Elle la lit, l’apprend. Cette grand-mère jamais connue se dessine et les femmes de sa vie prennent corps tandis que V. se souvient de son enfance, courue, au long des voyages incessants, imposés. Odeurs des villes, des paysages. Crises de mère. Partir encore. Fuite en avant. Courir le monde. Croiser les amants éphé-mères. Alors, petit à petit, tandis que les fils tissent, le voyage se profile. Des rives du Saint-Laurent à l’Islande. Suivre les traces. Elle qui était restée pour les effacer, ranger, nettoyer, les laisse finalement la guider. Venue pour faire le vide, elle fait le plein.

Ainsi, au pied des côtes hautes et abruptes, il y a le fleuve et parfois la mère, mais c’est dessus qu’il faut aller pour la trouver, et sentir son vide en-dessous. Nous avons tous nos falaises, nos blocs de roches érodées par le sel et le vent, par nos vies et ce qui les a construites. Nous les grimpons ou restons en bas à les regarder. Les falaises, créatrices d’écho quand on y crie, mères de vertiges si l’on regarde en bas, bâtisseuses d’horizons nouveaux si l’on regarde au loin. Et, sous la plume forte et poétique de Virginie DeChamplain, un peu tout ça, mais surtout un magnifique roman à lire absolument. Pour la beauté brute de son paysage, l’oralité à fleur de peau de son verbe, le souffle nouveau entre ses lignes. Et le voyage, par-delà les mères.

Watership Down, de Richard Adams

Confinée au fond de mon terrier, ne sortant que pour travailler, je rêvais de collines, d’herbes hautes, vertes, dorées, odorantes, de fleurs, d’horizon. Besoin d’espace. Besoin d’air, d’évasion, de respirer à plein poumons. Alors j’ai regardé mes étagères, remplies de fenêtres d’encre et de papier. En effleurant les tranches de tous ces livres endormis, je me suis souvenue que @goodbooks_goodfriends m’avait conseillée une histoire de lapins… Watership Down, voilà, c’est ça. Ce serait donc lui. Mais en l’ouvrant, je ne me doutais pas un instant que ces 544 pages allaient me faire voyager autant. Ça fait lourd comme attestation de déplacement, je vous l’accorde, mais pas de panique, vous ne sortirez pas avec. Vous partirez dedans.

Les premières pages tournées, je n’ai plus lâché ni la patte de Fyveer, ni celle d’Hazel. Et puis il y a eu Bigwig, Pipkyn et tous les autres. Et je me suis attachée à chacun. Je les ai regardé farfaller (lisez, vous saurez), fuir, construire, lutter, dormir, rêver, espérer. Rien de passionnant pensez-vous ? Vous vous trompez. Et je ne sais pas quoi vous dire pour vous en convaincre.

Au fil de l’histoire de ces lapins partis de leur garenne condamnée pour tenter de se construire un avenir meilleur, vous serez tour à tour touchés par leur courage, soufflés par leur ingéniosité, happés par leurs aventures. Vous tremblerez pour eux, croiserez les doigts, prierez Krik (lisez, vous saurez aussi). Et puis vous serez aussi saisis par la beauté des paysages que vous traverserez avec eux. Vous aurez parfois du soleil plein les yeux, ou de la pluie sur l’échine, du vent sur les flancs, de la vase plein les pattes. Et vous sentirez les primevères et les laitues. Les fèves. L’herbe fraîche. Et les dangers, souvent. Alors il faudra que vous soyez sur vos gardes et que vous tendiez vos oreilles car ce ne sera pas une promenade, bien au contraire.

Vous devrez vous défendre, réfléchir et courir, vite.
D’ailleurs, vous devriez commencer maintenant. Oui, oui, allez-y, courez… sur le site de @monsieurtoussaintlouverture (ou en librairie, dès que…) pour vous procurer sans tarder ce ticket pour l’aventure vers la colline de Watership Down. Oh, attendez… on me souffle que la collection Grands animaux accueillera très bientôt la garenne d’Hazel-Shâ sur ses terres, et que les précommandes sont ouvertes ! Alors, vous attendez quoi ? J’ai tapé de la patte, courez !

Un enfant, de Patricia Vergauwen et Francis Van de Woestyne

Un ami avait, un jour, commencé un de ses posts par « J’ai peur de la mort ». Je le reprends aujourd’hui. J’ai peur de la mort moi aussi. Pas peur de mourir, peur de la mort. Celle des autres. Peut-être parce que je l’ai sentie nous courir après, autour. Peut-être parce que je sais ce qu’il reste des vies, après, autour. Peut-être parce que j’aime plus que tout ceux qui restent, et que donc il ne reste qu’eux. Et que donc.

Alors oui, j’ai peur de la mort. Elle me terrifie et pourtant je ne fais que la lire. Je me saoule des deuils, des souffrances, de l’absence. Je lis les morts des autres. Je lie les morts, les autres. Un père, un mari, une femme, un ami. Je les lis, les relie, aux miens, à mon chagrin.

Alors quand 8tiret3_instalivres a présenté Un enfant, j’ai tout de suite su que je le lirai aussi. Et je l’ai fait, une nuit. Et je ne le relirai sûrement jamais. Les mots sont gravés quelque part au fond de moi, pas besoin d’ouvrir encore ses pages pour les retrouver. J’y ai laissé des larmes et mon cœur gros. J’ai pleuré Victor et ses parents. Lui mort, eux vivants. Le 4 novembre 2016, il est tombé d’un toit et ses 13 ans se sont arrêtées plus bas.

Un enfant, c’est Victor.
Un enfant, ce sont ses parents, et leurs voix qui s’entremêlent pour parler de lui, de leur famille, de leur douleur. Parler de lui, pour qu’il soit encore.
Un enfant, c’est le leur, et mon cœur de mère s’est brisé en le lisant.
Un enfant, il faut le lire. Parce que c’est triste et beau. Parce qu’ils ont trouvé leurs mots, et qu’ils sont forts et puissants. Parce que.
Un enfant. Oui, il faut le lire. Une fois. Quand on se sent prêt. Mais on ne l’est jamais, alors lisez-le, peu importe quand.

Les soeurs de Blackwater, de Alyson Hagy

On entre ici comme dans une histoire racontée au coin du feu, près d’une tente, en pleine forêt. Il faut avoir l’esprit ouvert, prêt à écouter. C’est l’heure du conte… Celui d’une femme sans nom, à l’identité trouble et à l’esprit troublé. Une femme qui écrit des lettres. Où vit-elle ? Dans une maison, sur une vaste propriété, près d’une rivière, et d’un cairn. Vous n’en saurez guère plus. Ne cherchez pas les noms des villages sur wikipedia, ne cherchez pas de date au fil du récit. Ne cherchez pas. Rien. Lisez comme on écoute.

Il était une fois, une femme. L’une des dernières à maîtriser les mots, à savoir les coucher sur papier, les border, comme seuls savent le faire ceux qui les aiment. De partout, les gens venaient la trouver. Elle, l’écrivaine. Elle, la sœur de. Car oui, elle avait eu une sœur, vénérée car guérisseuse. Chacune son don, son pouvoir. Mais la sœur n’est plus, seuls restent son souvenir et son aura, juste là, au-dessus. Au dedans. La maison sous sa bulle.

Un jour, un homme vint la trouver. Il avait besoin d’une lettre et avait de quoi payer. Alors il resta, quelques jours, le temps qu’elle rédige, et l’aida dans ses travaux quotidiens. Mais tout était sombre autour. Tout était ombre dedans. Atmosphère pesante partout. Cette femme, aussi crainte que respectée, accueillait une communauté d’Indésirables sur son terrain, et les familles du coin ne voyait pas cela d’un bon œil. A l’abri dans sa maison, recluse dans ses encres et ses velins, elle était encore protégée des alentours, mais pas de ses fantômes.

Et puis il y avait ces chiens, errants, abîmés. Et ces enfants, presque chiens. Et toujours cet homme, dont elle ne savait rien, rien que ce qu’il voulait qu’elle écrive.

Mais ne me lisez pas. Je ne sais pas raconter. Je ne suis pas de ceux qui savent embarquer. Lisez Alyson Hagy plutôt, parce qu’elle, elle sait. Il est dit que ce livre est une dystopie. Soit. Pour moi c’est un conte, le reste m’importe peu.

Vous dire que c’est superbement traduit reviendrait à vous mentir en vous faisant croire que j’ai aussi lu la VO, et ce n’est pas le cas. Alors je me contenterai de saluer le travail de traduction de David Fauquemberg parce qu’il a joué un rôle aussi important que l’autrice dans ma lecture. A-t-il respecté scrupuleusement la plume de l’autrice ? Je n’en sais rien. Mais ce que je sais, c’est que je n’ai pas lâché ce bouquin, et que c’est autant grâce à l’histoire qu’aux plumes qui l’ont dessinée.

Moi ce que j’aime c’est les monstres, d’Emil Ferris

🖋 Mon avis :

Moi ce que j’aime c’est Moi ce que j’aime c’est les monstres. Non, non, mon vinyle n’est pas rayé. Moi ce que j’aime, c’est vraiment Moi ce que j’aime c’est les monstres. 800 pages folles, d’une beauté déconcertante. 800 pages dessinées au stylo-bille, sur un carnet aux feuilles perforées. Oubliez les oeillets, posez les œillères, partez légers. Laissez-vous (em)porter.

J’ai longtemps rêvé de feuilleter ce roman graphique, et, quand l’édition collector est sortie, j’ai modifié ma liste de souhaits pour la mettre en première place. C’était celle-là qu’il me fallait, et si vous avez déjà eu le bonheur de tenir un titre publié chez Monsieur Toussaint L’ouverture, vous savez pourquoi. La qualité des ouvrages est démente. Le soin apporté au choix du papier, des couvertures, de l’ensemble de l’objet, en fait toujours un trésor, et c’est encore plus vrai ici. Sans l’avoir encore ouvert, je savais que je tenais un objet qui allait m’être précieux.

Et puis… j’ai tourné la première page. Et je suis tombée dans le terrier. Plus de présent, plus de réalité, je ne le lisais plus, je vivais dedans. Aspirée par le crayon, par l’histoire, prise dans les lignes crayonnées du journal de Karen, j’ai suivi son chemin. Qu’il est compliqué d’être soi au milieu des autres. Qu’il est difficile d’être différent, à part, en marge. Mais elle n’y reste pas Karen, dans la marge. Elle écrit, trace, et s’étend sur toute la page. Au gré de son enquête pour retrouver le meurtrier de sa voisine, elle va s’épanouir. L’entrelacs des histoires dessinent alors la sienne et en suivant son stylo, on la voit apparaître. Cette jeune adolescente habituée à vivre avec son frère et à sa mère au sous-sol d’un immeuble bien modeste prend de l’ampleur au gré de ses recherches. Plus question de vivre en taupe, terrée. Karen est forte. Elle grandit. Et l’intrigue avec.

Des monstres, on le sait, il y en a partout, et surtout ici, sur les couvertures des pulps que Karen reproduit, en peinture, dans les films, dans l’Histoire, dans les histoires, dans la rue, dans chacun. Et puis il y a ceux que l’on croit distinguer, face à l’Autre, différent. Inventés, réels, enfouis, cachés, craints ou enviés, l’éventail de leurs formes et visages est large et se déplie au fil des pages.

Je ne sais quoi vous dire pour vous convaincre. Ce livre est un monument, une œuvre d’une densité rare. Oubliez ce que vous pensiez connaître des romans graphiques et foncez. Certains seront peut-être réticents, le graphisme étant, il est vrai, particulier, la mise en page aussi, mais tout est pensé pour servir l’histoire. Ce n’est pas une BD, ce n’est pas un roman. C’est une BD, c’est un roman. Et un journal. De l’art. Une chimère, une Hydre de l’Herne littéraire, plusieurs têtes pour un même corps. N’en coupez aucune, respirez le poison. Hallucinez et laissez-vous porter, ce monstre-là ne vous lâchera pas.

Ordinary people, de Diana Evans

📚 4ème de couverture :
Troisième roman de Diana Evans, Ordinary People décrit, à travers deux couples quarantenaires les failles et les errances d’hommes et de femmes issus d’une classe moyenne auxquels le pouvoir d’achat en baisse offre peu de perspectives. L’auteure anglaise plonge le lecteur dans la vie intime et domestique de deux cocons familiaux au bord de la rupture, celui de Michael et Melissa, rencontrés il y a plus de dix ans, parents de deux enfants, et de Damian et Stéphanie, mariés depuis bientôt quinze ans, trois enfants. Que devient le couple face aux ambitions personnelles et professionnelles déçues ? Aux longs trajets pendulaires ? À l’argent qui manque toujours un peu ? Diana Evans se fait l’observatrice de la vie conju­gale confrontée au capitalisme et à la crise, et décrit minutieusement la fragile architecture amoureuse.

🖋 Mon avis :

13 ans ensemble, un amour d’âge adolescent, et les tourments qui vont avec. C’est la vie, celle des gens normaux. Le quotidien, les enfants, les compromis, les années.. ça n’a l’air de rien, mais ça abîme. Les cœurs se rident, l’amour se frippe. Lentement. Sans qu’on ne voit vraiment les creux se former. Et puis un jour, face à soi, on se voit. Plus envie de s’adoucir, de s’arrondir, de lisser les aspérités. On se veut entier, comme avant. Se retrouver couleur primaire et plus seulement mélangés, engloutis.

Le sujet m’intéressait, vraiment, mais je vais vous dire la vérité, je me suis ennuyée. J’ai failli laisser tomber mais je me suis dit « On ne sait jamais ! ». Parfois, la fin d’un livre peut le retourner complètement. Ça n’a pas été le cas ici. En tout cas, pas pour moi. C’était lent, c’était long. J’attendais quelque chose, je ne savais pas quoi, mais ce n’est jamais arrivé.

Je reconnais que certains passages m’ont plu, que la musique m’a bercée, mais voilà, j’aurais voulu plus de basses et de percussion. Du rythme. Là, j’ai fini par fermer les yeux. La berceuse a trop bien fonctionné.

Peut-être que le brassard sur la couverture a causé ma perte, j’ai espéré mieux, plus, autre chose. A moins que ce ne soit la faute à des souvenirs enjolivés des livres de Dickens. Je ne regrette toutefois pas de l’avoir terminé, je laisse toujours l’espoir et la curiosité me guider, même si, cette fois, j’en suis sortie déçue. Raté pour cette fois, tant pis !

La vie de merde de mon père La vie de merde de ma mère et ma jeunesse de merde à moi, de Andreas Altmann

📚 4ème de couverture :
Altötting, lieu de pèlerinage en Bavière, dans les années 1950-1960.Ici ni grâce ni miracles, mais violence et terreur : un père psychiquement détruit par la guerre frappe son fils jusqu’à lui faire perdre connaissance ; une mère trop faible pour protéger ses enfants sombre dans la dépression ; un fils bouc émissaire cherche des stratagèmes pour ne pas succomber. Une histoire (vraie) peuplée de prêtres fanatiques et pédophiles, d’anciens nazis sans remords, de femmes humiliées ou complices. Mais Andreas Altmann refuse le statut de victime et montre la voie de la reconquête d’une vie libre et digne.

🖋 Mon avis :

On fait toujours un choix quand on sort d’un livre, consciemment ou pas. On peut décider de ce que l’on va en retenir. Un thème, une écriture, un personnage, rien. On ne gardera pas tout, ou rarement. Chacun a sa propre lumière, et elle éclaire les mêmes mots différemment d’un lecteur à l’autre. Quand j’ai refermé ce livre-là, je savais ce dont je vous parlerai.

J’ai lu les sévices. J’ai lu les coups et la violence psychologique. J’ai lu ce père froid, pervers et violent. Cette mère faible qui ne s’est jamais battue, ni pour elle, ni pour ses enfants. Le foyer devenu géhenne. L’éducation catholique dans ce qu’elle a de pire, ses interdits, ses condamnations, ses jugements sans procès, ses catéchistes immondes et libidineux. J’ai lu l’enfance en miettes, la souffrance, la solitude.

Oui, j’ai lu tout ça mais j’ai surtout vu la force, celle qui naît entre des dents que l’on a trop souvent serrées, et c’est elle que je voulais garder. Parce que j’aime les gens forts. J’aime ceux qui ploient mais ne cassent pas. Ceux qui ont une boule de rage au fond du ventre et qui s’en servent pour avancer. Et Andreas Altmann est de ceux-là. De ceux qui ont dû courber le dos, encaisser les coups, les humiliations, les violences. De ceux qui ont ravalé leurs larmes parfois, et parfois pas, mais qui ont levé les yeux. Pour que l’autre sache que ce n’est pas fini, qu’il voit qu’il y a toujours quelqu’un en face de lui. Quelqu’un qui se relèvera.

Altmann nous prouve que l’on peut devenir qui l’on veut si on essaie, encore, toujours, malgré tout. Non. En fait, il nous montre surtout qu’on peut devenir qui l’on est, au fond, même si on ne nous a jamais laissé une chance de grandir en essayant de le savoir. Même si on nous a scié à la racine. Même si on n’a pas eu l’amour comme engrais. Il nous dit que ce sera long, qu’on fera des erreurs, mais qu’il faut essayer. Qu’une graine peut pousser, même ensevelie sous des tombereaux de merde.

Altmann ne s’apitoie pas, il raconte, et il le fait bien. Il retire les rochers devenus cailloux dans ses chaussures et s’en sert pour marquer son chemin. Pas pour le retrouver, mais pour voir par où il est passé. Le petit poucet ne veut pas rentrer. Oui, il est passé par ici. Non, il ne repassera pas par là. Il avancera. Pas toujours droit, pas toujours vite, à tâtons souvent, mais il avancera.

Ici n’est plus ici, de Tommy Orange

📚 4ème de couverture :

À Oakland, dans la baie de San Francisco, les Indiens ne vivent pas sur une réserve mais dans un univers façonné par la rue et par la pauvreté, où chacun porte les traces d’une histoire douloureuse. Pourtant, tous les membres de cette communauté disparate tiennent à célébrer la beauté d’une culture que l’Amérique a bien failli engloutir. À l’occasion d’un grand pow-wow, douze personnages, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, vont voir leurs destins se lier. Ensemble, ils vont faire l’expérience de la violence et de la destruction, comme leurs ancêtres tant de fois avant eux. Débordant de rage et de poésie, ce premier roman, en cours de traduction dans plus d’une vingtaine de langues, impose une nouvelle voix saisissante, véritable révélation littéraire aux États-Unis. Ici n’est plus a été consacré « Meilleur roman de l’année » par l’ensemble de la presse américaine. Finaliste du prix Pulitzer et du National Book Award, il a reçu plusieurs récompenses prestigieuses dont le PEN/Hemingway Award.

🖋 Mon avis :

Douze personnages comme autant de flèches dans le carquois. Ou bien n’y en avait-il qu’une, bien affûtée, mais douze cordes sur l’arc ? L’archer Tommy Orange a bien manié douze cordes, mais vocales. Et c’est sous sa plume qu’elles ont été décochées. Dans ses mots qu’elles ont vibré.

Douze vies. Douze fils qui se croisent et se tissent. Le premier nœud, le point commun ? Ils sont indiens.

Au long des pages, il faudra les suivre et les écouter. Les regarder se nouer, se dénouer, se frôler. Petit à petit. Chacun son tour. Et puis apprendre à les connaître, à les comprendre. Jusqu’à la fin.

Douze histoires pour une seule. Des origines à aujourd’hui, Tommy Orange coud son histoire au fil de la grande. Et l’aiguille pique souvent, elle s’enfonce même profondément par moment, pour montrer le sang qui a coulé et le regarder tâcher le tableau un peu trop parfait que d’autres ont dessiné. Parce que c’est bien de cela qu’il s’agit, de ce qu’il reste des premiers, ces indiens natifs, de ce qu’ils sont devenus, nourris des miettes toxiques qu’on leur a laissées. Expatriés sans même quitter le sol qui les a vu naître, volés, abusés, négligés dans l’indifférence la plus totale, voués à disparaître. Comment peuvent-ils s’épanouir tandis qu’on les piétine des racines aux bourgeons ? Des centaines de tribus réduites sous une seule identité : des indiens. Presque fantomatiques. Presque invisibles. Presque plus rien.

Ici n’est plus ici, c’est un roman choral, un chant en canon formé par des voix jusque là quasiment aphones, mais à qui l’auteur redonne du coffre. Elles racontent, les unes après les autres, des histoires dures et dramatiques inventées au cœur du réel. Et quand un chapitre commence, les précédents résonnent encore. Et tout au long, des insertions d’Histoire, comme des coups forts portés sur le Grand Tambour. Le rythme de fond. Jusqu’au Grand Pow-wow, le final, où tous se mêleront. Le chœur.

Ça gronde, ça vibre. Ça remue la terre et soulève la poussière cachée sous le tapis. Ça montre que tout est loin d’être aussi propre que certains le disent.

C’est un livre qu’on ferme pour en ouvrir d’autres. Et un auteur que je lirai encore j’espère.

84, Charing Cross Road, de Helene Hanff

L’autre jour, je me promenais dans une librairie, sans liste, sans Instagram, sans filet. J’en ai donc fait le tour une fois, puis deux, puis trois. Je vois un nom. Helene Hanff. Hum… Je passe. Je regarde les tranches, en sors quelques-unes, les remet en place. Puis un regard sur les tables et leurs couvertures. Je les connais, je les ai déjà vues passer, mais aujourd’hui, je n’en veux pas. Quatrième tour. Toujours cette couverture bleue qui me regarde. Je m’approche. 84, Charing Cross Road. Je ne sais pas. Et puis, juste sous le titre, « préface de Daniel Pennac ». Et là, me reviennent mes 15 ans, Au bonheur des ogres, La fée carabine, La petite marchande de proses, Comme un roman. Ok, l’information me suffit. Je ne veux pas en savoir plus, ce sera celui-là.

Voilà donc comment je me suis retrouvée plongée au milieu de la correspondance entre Helene Hanff et Franck Doel. Entre New-York et Londres. De 1949 à 1969. Entre elle, écrivaine fauchée et lui, libraire spécialisé en livres épuisés.

Je commence à tourner les pages. Je déguste. Je regarde le livre de profil et, déjà, je crains la fin. Je suis fascinée. Des lettres pourtant, simples et courtes en plus. Mais on n’en écrit plus, on a trouvé plus rapide, moins fatiguant, plus facile. On s’envoie trois mots, des sourires, des morceaux. On attend un « vu » et une réponse rapide. Non, on ne s’écrit plus, on discute sans bruit. Alors qu’une lettre… Il faut prendre le temps, y mettre de soi, gratter le papier, et attendre. Attendre qu’elle soit distribuée ou pas, que l’autre la lise mais ne pas en être sûr, puis qu’il y réponde, peut-être. Mais pas tout de suite.

Ici, au-delà des commandes d’ouvrages et des remerciements, les correspondants y ont laissé des morceaux d’eux et de leurs vies. Elle, drôle, entière, affamée de lecture. Lui, flegmatique, contenu, dévoué. On y voit les liens se tisser, l’amitié naître, et ça m’a plu.

Ça sentait les vieux bouquins et le cuir de leurs couvertures. L’encre et le papier. Le bois des étagères d’une librairie anglaise. Le bonheur de tenir un livre qu’on pensait ne jamais trouver. Mais ça sentait aussi l’après-guerre et le rationnement. Les œufs en poudre et la langue en conserve. Et les amis. Surtout les amis.

Voilà, ça semble un petit livre de rien, quelques lettres d’une autre époque. Une histoire sans intérêt pour certains sûrement, mais pour moi, ça a été plus que ça. Ça a été une belle lecture, un moment à part, hors du temps, tendre et émouvant. C’était le livre dont j’avais besoin, à ce moment-là, mais je ne le savais pas. Lui oui, je crois. Et c’est pour ça qu’il m’avait tendu les bras.

Fonny, de Lieve Joris

📚 4ème de couverture :

Alors qu’elle travaille à un nouveau livre, l’auteur apprend que son frère Fonny, le “mouton noir” de la famille, est dans le coma à la suite d’un accident de voiture. S’ensuivent de multiples appels téléphoniques à ses parents, ses nombreux frères et sœurs, et plusieurs voyages pour se rendre au chevet du blessé. En racontant ce moment particulier de leur vie, qui les réunit tous, Lieve Joris laisse affleurer les souvenirs de son enfance et ceux, plus anciens, qu’elle a reçus en héritage. Habituellement cantonnée dans son rôle de témoin, elle livre ici un texte bien plus intime, esquissant un autoportrait à travers le récit de ce drame et l’exploration de son histoire familiale.

🖋 Mon avis :

Histoire familiale peinte par touches successives de souvenirs, Fonny ressemble à une tapisserie. Autour de l’accident de son grand frère, Lieve Joris convoque ses souvenirs, sa famille, son enfance.

Mais moi, je suis restée en retrait, sur le côté. J’ai regardé les vies s’écouler, les mémoires se rappeler, les pages défiler. Je pourrais dire que je suis passée à côté mais non, ce n’est pas vraiment ça. Je n’ai pas bougé, pas voyagé, pas accompagné. J’ai laissé filer. Ça arrive. Pas facile de donner un avis, un ressenti, quand il ne s’est rien passé. Pas pour moi, pas là, à ce moment-là. Je ne sais pas trop. Ça n’a pas fonctionné, c’est tout. Je ne reproche rien à l’écriture, elle n’est juste pas de celles qui m’emportent. Et puis, j’ai eu le sentiment que l’histoire m’avait tenue à l’écart. Je ne me suis pas sentie invitée. Ça ne s’explique pas, ça ne tient à rien parfois.

Mais ne vous arrêtez pas à ce que j’en ai pensé, on a tous des sensibilités différentes. Et vous savez quoi ? J’aimerai bien que Fonny trouve un.e meilleur.e lecteur.trice que moi. Alors si la 4ème de couverture vous donne envie ou si vous êtes simplement curieux, dites-le moi, je serai ravie de le faire voyager jusqu’à vous. D’autres yeux lui offriront peut-être un plus bel avis.

Je remercie toutefois Actes Sud et Babelio pour la découverte.