Je ne veux pas être jolie, de Fabienne Périneau

Sa mère est morte. « Jo, reste, ta mère est morte. » Non merci. Non, elle ne restera pas, et non, elle ne pleurera pas non plus. Parce qu’en partant, la mère lui a tout renvoyé. Ses souvenirs de petite fille, ses huit ans, sa vie, avant. Avant qu’elle ne meure un peu, beaucoup. Avant qu’un été à la mer, sans la mère, ne la fasse vieillir au-delà du dicible. Sa mère est morte et ce qui sort ce ne sont pas les larmes, c’est le passé qui remonte, c’est le sable qui s’envole et qui laisse au jour ce qu’elle avait enfoui, profond, loin, au cœur.

Un mois d’été chez l’oncle et la tante. Un mois, si long. Un mois qui fait prendre des années. Et puis la mère revient, et on repart, presque, pas vraiment. On y a laissé quelque chose là-bas, quelque chose qui ne se récupère pas.

Les mots tus, cachés, pendant si longtemps, se réveillent. Tant d’années sans pouvoir dire, mais aujourd’hui encore, on ne veut pas entendre, on n’a rien vu. Les trois singes pour protéger celui-qui et tant pis pour celle-qui. Parce que ça cache le soleil les petites filles parfois, et puis ça se noie. Alors ça gêne, ça gâche. Un été, une famille, des vies, une seule. Chut, on te dit… Dis merci, sois polie, tais-toi. Tais-toi. Terre ça. Maintenant, demain, toujours. Il y a des maux qu’on ne dit pas. Les mots, c’est comme les petites filles, il y en a qui gênent, qui cassent, qui noient. Alors oui, tant pis pour celle-qui. Oui, tais-toi. Toujours. Ne dis pas le mari. Ne dis pas tes 8 ans. Ne dis pas certaines nuits. Ne dis rien sauf merci. Sois polie.

Tout est toujours question de silence n’est-ce pas ? On nous l’apprend depuis toujours, il vaut cher. Peu importe ce qu’il coûte, on veut ses lingots. Mais aujourd’hui, alors qu’on enterre la mère, la parole veut s’exhumer. Sa parole à elle. Non, pas de merci cette fois-ci. Pour panser il faut parler. Oui, la parole a des elles. Elles ont la parole. On a la parole. Peu importe quand, peu importe qui, peu importe à quel prix. Peu importe ceux qu’on perdra et le mal que ça fera.

Vous dire que ce livre m’a bouleversée serait bien réducteur. Il a pris mon cœur, l’a serré entre ses points, tordu entre ses lignes, gonflé de ses mots. Il y a des thèmes plus difficiles que d’autres, mais plus forts aussi. Et le talent d’un.e auteur.e se révèle souvent dans ceux-là, quand il/elle arrive à nous prendre au creux de sa main, contre sa plume, et que nous n’y sommes pas protégés, mais capturés. Fabienne Périneau a réussi ça. Elle m’a emmenée dans le cœur et la tête de cette femme à petits pas. Sans savoir, je savais déjà. Et à tâtons, au fil de la parole qui naît, j’ai écouté, révoltée comme si c’était vrai. Parce que oui, ça l’est, quelque part, un jour, trop souvent. Et que ce soit à travers une histoire ou un témoignage, c’est important de le lire, de le dire. Merci Mme Périneau, pour tout ça. Et merci Valmyvoyou_lit, parce que c’est ton retour qui m’a fait découvrir ce livre.

Le crépuscule du paon, de Claire Bauchart

Concilier vie de famille et travail, vie de mère et vie de femme, travailler dehors, dedans, tout le temps, tel est le quotidien compliqué de beaucoup de femmes, et Pascaline est l’une de celles-là. Brillante journaliste du service politique d’un grand quotidien, ses états de service font d’elle bien plus qu’une simple échotière et, de fait, la cible facile des dépits envieux de ses collègues. Et rien n’ira en s’arrangeant quand elle plongera la tête la première dans les dessous de l’attribution des marchés publics du BTP…

J’ai aimé ce portrait de femme, mais je crois que, contrairement à beaucoup de lecteurs, c’est l’enquête qui m’a le plus passionnée. Que voulez-vous, j’aime ça moi, détricoter, chercher, fouiller, et d’autant plus ici, où le jeu de piste m’a emmenée dans les hautes sphères politiques. Et puis faut dire qu’elle est attachante, Pascaline. On s’y retrouve, un peu, beaucoup. Prise entre plusieurs feux, tiraillée entre toutes ses obligations, débordée mais coriace, tenace. Et même si on ne s’y retrouve pas, l’investigation saura faire le lien. Si, si, croyez moi. Parce qu’elle est sacrément bien menée cette enquête. On sent que l’autrice connaît non seulement son sujet, mais qu’elle le maîtrise. J’aurai même aimé qu’elle m’en donne plus encore, que ce soit encore plus développé. Parce qu’une fois que j’ai mis le nez dans un sac de nœuds, j’aime prendre le temps de le défaire, fil après fil. Mais peu importe finalement, car cela n’enlève rien à la qualité de cette histoire.

J’ai donc suivi avec plaisir la plume précise et intelligente de Claire Bauchard dans cette intrigue prenante. Et j’ai aimé voir l’obscurité entourant les malversations du milieu politique et des grandes entreprises disparaître peu à peu, dispersée par la lumière de lanternes tenues par ceux que l’on a cru sans importance, les trop souvent snobés, ignorés, ceux dont on se sert sans les considérer. Mais il suffit parfois d’un tout petit caillou pour mettre à mal tout un engrenage, et ceux qui les font tourner n’y prêtent souvent pas suffisamment attention.

Alors merci @clairebauchart pour ce très bon moment de lecture !

Tout le bleu du ciel, de Mélissa Da Costa

Emile cherche un compagnon de voyage, quelqu’un pour faire l’aller avec lui. Le retour n’existera pas à deux. Joanne sera celle-là, qui viendra doucement, presque sans un mot. Et c’est là que tout commence, quand tout est près de s’arrêter.

Atteint d’un Alzheimer précoce, il ne reste à Emile que deux ans, tout au plus. Alors, pour ne pas rester branché, pour vivre loin des regards tristes et apeurés, il décide de partir, en camping-car. Vers les montagnes, la nature, sa liberté. Vers la vie vraie.

Je ne savais rien en démarrant ma lecture. Rien de rien. Alors je suis montée dedans, sans bagage. J’ai eu un peu peur au début, je dois bien l’avouer. Plus de 800 pages, ça effraie. Mais je me suis dit qu’au pire, ça calerait une porte, ou un meuble un peu bancal. Je ne pensais pas que c’est moi que ça aiderait, moi que ça redresserait.

800 pages tout de même ! vous me direz. Oui, mais c’est ce qu’il faut pour voyager. C’est ce qu’il faut pour prendre le temps de regarder, le ciel, les montagnes, les plantes, la mer, les gens. Il faut savoir ralentir quand tout s’accélère. Lever le pied pour respirer. Moi j’ai englouti les kilomètres sans lever le nez. Je les ai écoutés, lui et elle. Je les ai observés, vu leurs larmes parfois couler, parfois retenues. Les yeux rivés au papier, j’ai regardé ces deux-là s’appréhender, s’apprivoiser, se dévoiler. Et c’était bien. Et c’était beau. Et c’était ce qu’il me fallait.

Regarder la vie tisser, avec le dernier de ses fils, un lien qui lui survivra, oui, c’est ça qu’il me fallait. Alors, merci Mme Da Costa. Et merci William du @livredepoche. Merci infiniment.

Un enfant, de Patricia Vergauwen et Francis Van de Woestyne

Un ami avait, un jour, commencé un de ses posts par « J’ai peur de la mort ». Je le reprends aujourd’hui. J’ai peur de la mort moi aussi. Pas peur de mourir, peur de la mort. Celle des autres. Peut-être parce que je l’ai sentie nous courir après, autour. Peut-être parce que je sais ce qu’il reste des vies, après, autour. Peut-être parce que j’aime plus que tout ceux qui restent, et que donc il ne reste qu’eux. Et que donc.

Alors oui, j’ai peur de la mort. Elle me terrifie et pourtant je ne fais que la lire. Je me saoule des deuils, des souffrances, de l’absence. Je lis les morts des autres. Je lie les morts, les autres. Un père, un mari, une femme, un ami. Je les lis, les relie, aux miens, à mon chagrin.

Alors quand 8tiret3_instalivres a présenté Un enfant, j’ai tout de suite su que je le lirai aussi. Et je l’ai fait, une nuit. Et je ne le relirai sûrement jamais. Les mots sont gravés quelque part au fond de moi, pas besoin d’ouvrir encore ses pages pour les retrouver. J’y ai laissé des larmes et mon cœur gros. J’ai pleuré Victor et ses parents. Lui mort, eux vivants. Le 4 novembre 2016, il est tombé d’un toit et ses 13 ans se sont arrêtées plus bas.

Un enfant, c’est Victor.
Un enfant, ce sont ses parents, et leurs voix qui s’entremêlent pour parler de lui, de leur famille, de leur douleur. Parler de lui, pour qu’il soit encore.
Un enfant, c’est le leur, et mon cœur de mère s’est brisé en le lisant.
Un enfant, il faut le lire. Parce que c’est triste et beau. Parce qu’ils ont trouvé leurs mots, et qu’ils sont forts et puissants. Parce que.
Un enfant. Oui, il faut le lire. Une fois. Quand on se sent prêt. Mais on ne l’est jamais, alors lisez-le, peu importe quand.

Les soeurs de Blackwater, de Alyson Hagy

On entre ici comme dans une histoire racontée au coin du feu, près d’une tente, en pleine forêt. Il faut avoir l’esprit ouvert, prêt à écouter. C’est l’heure du conte… Celui d’une femme sans nom, à l’identité trouble et à l’esprit troublé. Une femme qui écrit des lettres. Où vit-elle ? Dans une maison, sur une vaste propriété, près d’une rivière, et d’un cairn. Vous n’en saurez guère plus. Ne cherchez pas les noms des villages sur wikipedia, ne cherchez pas de date au fil du récit. Ne cherchez pas. Rien. Lisez comme on écoute.

Il était une fois, une femme. L’une des dernières à maîtriser les mots, à savoir les coucher sur papier, les border, comme seuls savent le faire ceux qui les aiment. De partout, les gens venaient la trouver. Elle, l’écrivaine. Elle, la sœur de. Car oui, elle avait eu une sœur, vénérée car guérisseuse. Chacune son don, son pouvoir. Mais la sœur n’est plus, seuls restent son souvenir et son aura, juste là, au-dessus. Au dedans. La maison sous sa bulle.

Un jour, un homme vint la trouver. Il avait besoin d’une lettre et avait de quoi payer. Alors il resta, quelques jours, le temps qu’elle rédige, et l’aida dans ses travaux quotidiens. Mais tout était sombre autour. Tout était ombre dedans. Atmosphère pesante partout. Cette femme, aussi crainte que respectée, accueillait une communauté d’Indésirables sur son terrain, et les familles du coin ne voyait pas cela d’un bon œil. A l’abri dans sa maison, recluse dans ses encres et ses velins, elle était encore protégée des alentours, mais pas de ses fantômes.

Et puis il y avait ces chiens, errants, abîmés. Et ces enfants, presque chiens. Et toujours cet homme, dont elle ne savait rien, rien que ce qu’il voulait qu’elle écrive.

Mais ne me lisez pas. Je ne sais pas raconter. Je ne suis pas de ceux qui savent embarquer. Lisez Alyson Hagy plutôt, parce qu’elle, elle sait. Il est dit que ce livre est une dystopie. Soit. Pour moi c’est un conte, le reste m’importe peu.

Vous dire que c’est superbement traduit reviendrait à vous mentir en vous faisant croire que j’ai aussi lu la VO, et ce n’est pas le cas. Alors je me contenterai de saluer le travail de traduction de David Fauquemberg parce qu’il a joué un rôle aussi important que l’autrice dans ma lecture. A-t-il respecté scrupuleusement la plume de l’autrice ? Je n’en sais rien. Mais ce que je sais, c’est que je n’ai pas lâché ce bouquin, et que c’est autant grâce à l’histoire qu’aux plumes qui l’ont dessinée.

La magie dans les villes de Frédéric Fiolof

🖋 Mon avis :

Le saviez-vous ? La magie est partout. Sur les trottoirs, sous la pluie, sur les regards, sous les murs gris.

Mais si, faites moi confiance. Suivez cet homme étonnant et regardez. Il s’est défait de son envie de voyager, est parti toucher le fond, et a continué à plonger. Et de là, il regarde la vie qui reste en poésie. Entouré de ses morts et d’une fée fatiguée, de sa femme et de ses enfants, il se détache et recule, juste assez pour voir autrement.

Allez, venez. La balade vous emmènera. Où ? Ne cherchez pas à savoir. Vous irez du cimetière à la vie en vrai, ou pas. Il vous faudra alors accepter de lâcher, de décoller les pieds. Un peu Vian, un peu fou, Fiolof écrit en rêve. Alors, bien sûr, tout est faux, tout est vrai. Et puis, on saute-mouton, on lit en morceaux. Récit décousu ? Bien sûr. Ce sont des carrés de vie, des instantanés hallucinés. Cousez-les puis tirez la couverture. Elle saura vous emmener là où les gens trop sérieux ne vont pas, en fantaisie. Alors oui, il faudra avoir gardé le rythme de son cœur d’enfant je crois, pour se réchauffer sous ce plaid-là. Et il faudra savoir l’écouter pour goûter la poésie et l’absurde. Mais si vous êtes équipés, si vous avez l’ouïe assez fine, foncez.

J’ai découvert ce livre en épluchant le catalogue de Quidam Editeur pour participer au challenge #varionsleseditions et j’en suis ravie. J’ai lu ce que j’aime, un peu de folie, beaucoup de poésie. Un peu de légèreté sous les chaussures lestées du quotidien. De la magie dans les pages. Ce qu’il me fallait, assurément.

Le dernier juif d’Europe, de Joann Sfar

Reçu dans le cadre d’une masse critique privilégiée grâce à Babelio, je ne savais rien de ce livre. Couverture neutre, pas de 4ème, le mystère restait entier. Ça a du bon parfois, mais ça peut désarçonner. Et là, j’ai bien failli tomber de ma monture.

Enfin, pour être honnête, je n’ai pas fait que faillir, je suis tombée, parachutée au cœur d’une histoire de monstres, d’un monstre. Tentaculaire, surpuissant, dangereux. Une histoire de haine. Une histoire contemporaine des juifs aussi. Et d’un vétérinaire gay, et du prépuce de son père. Et d’un vampire avec un skate. Vous n’y comprenez rien ? J’ai cru que ça allait être mon cas aussi. Mais finalement, je me suis accrochée, et j’y ai vu clair, malgré le tournis que tout ça me donnait.

Une fois la dernière page refermée, je ne savais toujours pas si j’avais aimé. Il m’a fallu quelques heures, quelques jours, pour digérer et comprendre que oui. Plus que l’histoire, c’est le message qui me revenait. Les tentacules m’avaient enserrée. Joann Sfar m’a déroutée. Non, ce n’est pas ça. Je n’avais ni plan ni carte, je n’ai pas perdu ma route. J’ai simplement pris un chemin que je n’avais pas vu et coupé à travers la forêt. Et je suis entrée dans l’histoire, dans le livre. Mais quel livre ? Un roman ? Peut-être. Sûrement. Un roman graphique alors, mais sans dessin. Joann Sfar a écrit une BD, tracée de lettres, aux images rédigées. Je le savais attaché au dessin, mais je ne savais pas qu’il l’écrivait aussi.

Je ne sais pas quoi vous dire de ce livre. Je peux vous redire que c’est l’histoire d’un homme, de son père. Du poids de leur religion, poids qui ne devrait pas être mais qui est, encore, malheureusement. Que ça parle de monstres et d’une psy, mais que vous y trouverez aussi Macron et les gilets jaunes. Et des monstres. Je vous l’avais déjà dit ? Ah. Faut dire qu’il y en a beaucoup, partout.

A moins que je ne vous en dise pas grand chose finalement, et que vous le découvriez à l’aveugle, comme moi. Pour qu’il vous emmène dans ses méandres, au cœur de ses planches, vignette après vignette. Joann Sfar esquisse mais vous laisse les crayons. Ouvrez les yeux, lisez. Dessinez. Mais je vous préviens, sous l’humour et la fable, ce qui se profile n’est ni drôle ni tendre. Reliez les points et vous découvrirez par vous-même cette caricature au vitriol et au trait un peu forcé de notre société. Il ne m’aura manqué qu’un peu de subtilité pour pleinement l’apprécier.

Marche blanche, de Claire Castillon

Ce livre, arrivé sous mes yeux grâce au Petit Poucet des mots (que je ne remercierai jamais assez), m’a bouleversée. J’ai lu, ça et là, des avis tranchés à son sujet, on l’aime ou on le déteste. Moi, je l’ai adoré. Tellement que je viens vous en parler, tout de suite, sans trop retoucher mes mots, sans me relire mille fois, sans attendre comme je le fais toujours. Besoin de dire vite, comme je l’ai lu. J’ai inspiré en le commençant, puis bloqué l’air pendant 167 pages. Il est temps de relâcher. Expiration.

Poumons pleins, j’ai avancé dans l’esprit torturé de cette mère. J’ai entendu sa rage, partagé sa souffrance, ses errances. J’ai serré ses poings dans les miens. Dix ans plus tôt, Hortense, son Hortense, a disparu. Sous ses yeux fermés. A peine 30 secondes. Un cache-cache jamais terminé. Depuis, ce sont dix années pleines d’espoir et de folie, de peut-être, de recherches. Dix années à se demander. Dix années à tourner, autour, dedans, dehors, à rabâcher, ressasser. Cette journée, les autres. Souvenirs de l’avant, du pendant. Impossible construction de l’après. Et puis viennent de nouveaux voisins, et leurs enfants. Leur fille. La sienne. Peut-être. C’est sûr. Il n’y a qu’une mère pour savoir ça, pour le sentir. Ça ne peut qu’être vrai. C’est elle. Évidemment.

L’enfant partie laisse place à son absence, pleine et entière. Étouffante. Omnisciente. Empêchée de siéger, la raison fuit, le couple aussi. Restent quelques regards, et du vide. Et l’espoir qui rend fou. Tout ça pour tenter de coller des morceaux de vie qui ne feront de cette femme qu’une poupée de chiffons, mal cousue, tenue par les fils d’un esprit morcelé. Alors bien sûr, cette mère-là fait peu de bruit. Ses cris résonnent à l’intérieur, ses doutes se cognent dedans. Personne d’autre ne pourra comprendre. Elle seule sait.

En entrant dans la tête de cette mère, j’ai manqué d’air, doucement. Dangereuse apnée. Alors j’ai lu vite. Je devais sortir. Je sentais que ça tournait, que, petit à petit, je m’enfonçais. Le parc, la chaussure de poulain vert, les marches, les affiches, les voisins. Je perdais pied mais, comme elle, je ne pouvais pas lâcher. Et puis lui, le mari. Lui, réconfortant. Lui, maison de gilet gris. Lui, dedans. Dehors. Il souffre. Il essaie. Mais rien ni personne ne peut entrer. La tête maternelle est pleine de celle qui manque. Plus de place.

Que vous dire ? Rien d’autre. Il faut que vous veniez vous aussi.

Ouvrez ce livre et comptez.

1,2,3… Hortense… 15,16,17… L’absence, démente… 25, 26, 27… Sa mère… 29… Ouvrez ses yeux…

30. Cachée.

Nos rendez-vous, d’Eliette Abecassis

🖋 Mon avis :

Les frissons, le rouge aux joues, la main qui tremble. Les prémices pleines d’espoir. Les peut-être qui font hésiter. Et si je me faisais une fausse idée. Et si je me trompais. Entend-t-il comme mon cœur cogne ?

Je crois qu’il n’y a rien de plus doux, rien de plus fort que ces moments-là, où rien n’est fait, où tout est doute, où on ne sait pas. Il suffirait de. Il faudrait. Il aurait fallu. J’ai failli.

Nos rendez-vous, ce sont ces moments, en équilibre précaire, suspendus entre deux êtres. Instants funambules. Elle a manqué le premier rendez-vous, ils en auront d’autres, dans dix ans, quinze ou vingt. Mais les corps et les cœurs se tairont, parce que la vie a fait que… Mariés à d’autres, ils se sont éloignés, mais la mémoire est restée. Le souvenir de ce qu’ils ont brièvement partagé, sans se l’être avoué, est tenace et revient sans cesse dans ce quotidien qu’ils avaient rêvé meilleur. Des moments où tout comme rien peut arriver, voilà ce qui les tient. Des riens, des tout, des peut-être surtout. Et c’est avec ces si et la sensation profonde qu’ils sont un peu l’un pour l’autre, que cette relation s’est construite, le long d’un fil. Long. Tenu de bout en bout par des mains qui ne se sont jamais connues. On donne du lest, on tire dessus, on ne lâche jamais vraiment mais on le laisse pendre, des années durant.

J’ai été touchée, profondément, par l’écriture d’abord, douce et sensible, et par ces deux-là, qui se savent sans se connaître, qui se devinent, s’imaginent, se fantasment. Pourquoi cette histoire m’a-t-elle tant émue ? Pour les points de suspension bien sûr, ceux qui ne finissent ni les instants ni les phrases. Ceux qui supposent mais ne disent pas. Ceux qui laissent autant d’espoirs que de regrets. Ceux qui ouvrent des fenêtres.

Ah, si seulement j’avais… Mais un jour peut-être…

Vigile, de Hyam Zaytoun

📚 4ème de couverture :

Un bruit étrange, comme un vrombissement, réveille une jeune femme dans la nuit. Elle pense que son compagnon la taquine. La fatigue, l’inquiétude, elle a tellement besoin de dormir… il se moque sans doute de ses ronflements. Mais le silence revenu dans la chambre l’inquiète. Lorsqu’elle allume la lampe, elle découvre que l’homme qu’elle aime est en arrêt cardiaque.

Avec une intensité rare, Hyam Zaytoun confie son expérience d’une nuit traumatique et des quelques jours consécutifs où son compagnon, placé en coma artificiel, se retrouve dans l’antichambre de la mort. Comment raconter l’urgence et la peur ? la douleur ? une vie qui bascule dans le cauchemar d’une perte brutale ?
Écrit cinq ans plus tard, Vigile bouleverse par la violence du drame vécu, mais aussi la déclaration d’amour qui irradie tout le texte. Récit bref et précis, ce livre restera à jamais dans la mémoire de ceux qui l’ont lu.

🖋 Mon avis :

Mouchoirs dans la main gauche, livre dans la droite, j’étais parée. Ces quelques pages, je le sentais, allaient me chavirer. Et puis… et puis, rien. Calme plat. Je l’ai tellement voulue pourtant, la submersion, tellement cherchée, mais rien n’y a fait. Pourquoi donc ? Que s’est-il passé pour que mon cœur ne se noie pas ? Il me fallait chercher.

J’ai donc remonté le fil, reniflé la piste, et retrouvé où et pourquoi ce livre et moi on s’étaient séparés. Ça n’a pas été long finalement, et l’un des cailloux sur ma chaussée a justement été ce temps, trop court. L’épaisseur d’un bouquin, on le sait, ne se mesure pourtant pas au nombre de pages, pourvu que l’intensité et la puissance du récit les transcendent. Mais là, pour moi en tout cas, il en manquait, des pages, des mots. Tout était trop court, pas assez fouillé, développé. Je pensais être soulevée par l’émotion, débordée, mais non. Pas une larme, pas un pincement, rien. Et pourtant, vous le savez, je ne les retiens jamais, ni mes yeux ni mon cœur. Ils ont carte blanche et ne craignent pas l’humidité (à l’inverse de mes cheveux. Mais on se perd là, reprenons.), mais ils n’ont pas eu le temps de prendre l’eau. J’étais prête à voir mes émotions affluer mais, à peine m’avaient-elles effleurer, que déjà elles repartaient. Inattendu et brutal ressac de mon empathie. Et pourtant, parfois, il n’en faut pas tant que ça, il suffit d’un mot, d’une phrase décochée comme une flèche, d’une fulgurance, mais rien de tout ça n’est arrivé. Je n’ai pas été transpercée.

Et puis, pour tout vous dire, il m’a aussi manqué de la tension, de l’ampleur. Hayam Zeytoun ne pouvait pas inventer, je le sais. Elle ne pouvait pas, pour plaire, ajouter, modifier, adapter. Il ne pouvait y avoir ici que ce qui s’est passé, et c’est parfait comme ça, mais j’aurai voulu plus de force, de puissance, dans le traitement des événements et des ressentis. Alors attention, je ne dis absolument que c’est mal écrit, mais je n’ai pas été conquise comme j’ai pu l’être par d’autres auteurs.rices. Le sujet est périlleux, si délicat qu’il demande l’excellence pour ne pas tomber dans la mièvrerie et le pathos tout en suscitant l’émotion, et là, même si l’autrice n’est pas tombée dans ces écueils, je n’y ai pas trouvé d’émotion non plus.

Je n’aime pas ne pas aimer et encore moins le dire, parce que, là aussi, l’exercice est difficile. Je ne veux surtout pas, au prétexte que je n’y ai pas trouvé mon compte, risquer d’éloigner les lecteurs d’un texte qui mérite sûrement d’être lu. C’est donc plus facile ici, puisque Vigile a déjà reçu quantités d’avis merveilleux. Alors allez les lire et, au pire, prenez le mien pour nuancer. Vos attentes seront peut-être moins grandes et il y a fort à parier que vous serez touchés. Cette fois-ci, et avec tout le respect que je dois à l’autrice, ça n’a pas marché pour moi.